Allez, dites-nous tout… Qui s’est empressé de poser congé pour le lundi 4 mars en voyant que le 5 était férié ?! Vous avez peut-être vu une occasion d’aller chiller à Moorea, de vous refaire l’intégrale de Game of Thrones avant la sortie de la nouvelle saison, ou de commencer doucement les entraînements pour la Xterra. Mais au cas où vous vous demanderiez pourquoi le 5 mars est férié ici et pas en métropole…
Le 5 mars commémore « L’arrivée de l’Évangile » au fenua. Et autant vous dire que c’est un évènement local important. Et festif ! Avec animations, spectacles, chants et, of course, prières dans tous les lieux de cultes des protestants à Tahiti et dans les îles.
Crédits : La Dépêche de Tahiti
Pour la petite histoire… Le 5 mars 1797, 30 missionnaires protestants, envoyés par la London Missionnary Society (LMS), ont accosté à Tahiti, précisément à la Pointe Venus (là où vous avez l’habitude de gonfler votre bouée flamant rose le dimanche). Comme vous l’aurez deviné, la rencontre entre missionnaires et locaux est allée bien plus loin que le partage d’un poisson cru sur la plage. Jusqu’à la christianisation de la société tahitienne qui pratiquait le polythéisme. Une évangélisation doublée d’une visée politique qui ne se fit pas sans verser de sang. La bataille de Fei Pi en 1815 marqua cette introduction au valeurs chrétiennes entre le roi Pomare II, soutenu et armé de fusils par les missionnaires, et le roi Opuhara, défenseur des cultes ma’ohi traditionnels. La mort de ce dernier lors de l’affrontement, d’une balle au front, fut le tournant de cette avancée coloniale dont la religion chrétienne était le fer de lance. Avec lui disparaissent les ari’i, les rois du système sociétal ma’ohi pré-colonial. Fort de cette victoire, Pomare II assoit sa mainmise politique à Tahiti puis dans les îles, se faisant baptiser en 1819. La Bible est traduite en tahitien par le confident et principal conseiller du roi, l’évangéliste Henry Nott. Lequel a même rédigé le premier code de lois locales : le code Pomare. Bref, vous l’aurez compris, avec « L’arrivée de l’Évangile », c’est toute la société polynésienne qui a été bouleversée.
On vous parle de l’Église protestante Maohi, mais il faut savoir que les premiers missionnaires catholiques sont arrivés en 1841. Les deux confessions restent aujourd’hui les plus importantes au fenua, avec un nombre de fidèles comparable (environ 80% des croyants au total). On retrouve, en revanche, de vraies différences d’implantation selon les archipels. Par exemple, aux Australes on est majoritairement protestant , aux Marquises, Tuamotu et Gambier plutôt catholique. Les 20% de croyants restant se retrouvent dans d’autres courants religieux, plus minoritaires, comme les Mormons, les Adventistes du 7ème Jour, les Sanito ou encore les Témoins de Jéhovah. Certains de ces cultes sont classés comme sectes en France, mais pas en Polynésie, où l’œcuménisme se pratique à chorale égale lors de chaque rassemblement religieux.
Bref, depuis ce fameux 5 mars, on est toujours très croyant en Polynésie. Et pratiquant, contrairement à la métropole. Car la loi de 1905 instaurant la séparation de l’Église et de l’État n’a jamais été rendue applicable au fenua. Là encore pour des motivations politiques, les missions religieuses servant à appuyer les ambitions coloniales tricolores. Ce fondement de la République laïque n’a donc pas été jugé nécessaire au développement de la Polynésie, d’où une pratique religieuse forte encore au 21ème siècle.
Il faut qu’on vous raconte comment ça se passe ici. Si en métropole vous aviez l’habitude de faire la grasse mat’ le dimanche devant Telefoot avec un croissant (voire 2), sachez que le dimanche matin en Polynésie, c’est messe. À 8 heures à la cathédrale Notre-Dame de Papeete, à 10 heures au Temple Paofai. Et comme les boulangeries et les brocantes en métropole, les églises et les temples font le plein le dimanche. Faut dire qu’ici ce sont des lieux de rassemblement, d’hébergement, de fête, de vie tout simplement. Avec des chants religieux en tahitien qui rivalisent avec la chorale des sœurs de Sister Act. Et des tenues de messe qui rappellent que l’on vit en Polynésie, où l’on peut faire rimer piété et coquetterie. Les femmes portent de magnifiques robes, leurs plus beaux bijoux et des chapeaux en pandanus tressés à rendre jalouse la Queen Elisabeth !
Crédits : Facebook Tahiti Tourisme
La religion ici ne s’arrête pas aux portes des temples et églises. Elle continue ainsi de jouer un rôle important dans la vie politique locale. Pas de loi de 1905, vous vous rappelez ? Toute réunion politique commence par une prière et les personnalités religieuses prennent part au débat public sans que quiconque s’en émeuve. Les églises s’impliquent également dans la vie culturelle, éducative et associative, notamment auprès des jeunes. Comme en témoigne la présence de nombreux établissements scolaires privés. La Mennais pour les catholiques, Samuel Raapoto pour les protestants. Même si l’affluence aux messes décroît, en particulier parmi les jeunes, et alors que certains Polynésiens assurent une survivance des cultes ancestraux ma’ohi, la religion chrétienne demeure intégrée à la société polynésienne plus de 220 ans après « L’arrivée de l’Évangile ».
Crédits : Facebook Air Tahiti Nui
Bon, et sachez que le Vendredi Saint est également férié ici… le 19 avril. Préparez votre long week-end 😉