Crédits : Tahiti Pacifique
Vous avez cru qu’il était réservé aux punk, aux taulards ou aux fans de Johnny ? Et pourtant depuis quelques années, il fait son grand come back : le tatouage. Devenu signe ultime de branchitude, le tatouage se démocratise. Et les adeptes passent des heures à épingler les derniers motifs tendances sur Pinterest. Mais le tatouage en Polynésie, c’est bien plus qu’une mode. C’est une des plus anciennes formes d’expression de la culture locale.
Tout commence par une histoire d’amour (on savait que vous aimeriez). Une légende polynésienne raconte que les deux fils du dieu Ta’aora, Mata Mata Arahu et Tu Ra’i Po, tombèrent amoureux de la belle Hina Ere Ere Manua, la fille du premier homme. Pour la séduire, ils décidèrent de se tatouer pour s’embellir. La technique ayant plutôt bien fonctionné, les deux frères ont ensuite transmis l’art du tatouage aux hommes… On dit merci qui ?
Crédits : Facebook Keakua Art – Arts et Sculptures marquisiens
Cela ne vous aura pas échappé, il n’y a pas de dermographe dans la légende… Faut dire que la technique traditionnelle pour se tatouer, c’est celle du « tap tap ». On utilisait un peigne (fabriqué avec des dents de cochon, des os taillés ou des écailles de tortue) que l’on frappait par petits coups avec un maillet de bois. L’encre était à base de noix de bancoul mélangée avec de l’eau ou du mono’i. Finalement le dermographe, ça fait beaucoup moins peur, non ?
Si aujourd’hui on se tatoue souvent par choix esthétique, il faut savoir qu’à l’origine le tatouage jouait un rôle essentiel dans la vie des Polynésiens. À la puberté, tout le monde se faisait tatouer : c’était un rite de passage à l’âge adulte. Et au fil des années, d’autres tatouages étaient ajoutés sur le corps. Mais pas n’importe lesquels ! Autrefois, on ne tatouait pas le prénom d’un futur ex en lettres gothiques, un papillon en couleurs ou une tête d’aigle qui fait (très) peur juste parce qu’on trouvait ça joli. Un motif était tatoué parce qu’il avait une signification précise. Parce qu’il représentait une famille, un clan, un rang social ou un acte héroïque accompli (à la pêche, à la chasse, à la guerre…). En fait le tatouage était une marque identitaire et un signe de force et de pouvoir. Dans la société ma’ohi traditionnelle où l’écriture n’existait pas les tatouages permettaient d’exprimer le rang, les actions, la lignée d’un individu.
Évidemment, selon les archipels, les motifs et les zones tatouées pouvaient varier. Les motifs les plus connus aujourd’hui sont ceux originaires des Marquises : essentiellement des formes géométriques, des animaux ou des plantes. Mais un des plus utilisés est le tiki (représentation divine des ancêtres), symbole de protection et de puissance. Autre spécificité marquisienne : le corps entier pouvait être tatoué (visage inclus) aussi bien chez les hommes que les femmes.
Et puis les missionnaires sont arrivés. En débarquant sur le territoire au XVIIIème siècle, ils ne sont pas hyyyper emballés par le tatouage. Ils trouvent ça tellement barbare qu’ils l’interdisent (le tatouage se montrait et il allait donc de pair avec la culture de la nudité). Il a fallu attendre 150 ans pour le voir réapparaître (autant vous dire qu’on était à deux doigts que la pratique disparaisse).
Jusqu’aux années 80,pendant que vous vous entrainiez en collant fluo devant Gym Tonic, la jeunesse polynésienne, elle, cherchait à se réapproprier la culture traditionnelle. C’est comme ça que le tatouage est revenu progressivement au fenua. Les tatoueurs locaux se sont inspirés des quelques planches de dessins traditionnels trouvées à droite, à gauche, et ont fait renaître le style traditionnel du tatouage polynésien.
Le tatouage marquisien a été particulièrement documenté, ce qui a permis de préserver sa transmission dans le respect de son caractère traditionnel, en dépit de l’interdiction des missionnaires de le pratiquer. Un documentaire consacré au tatouage marquisien a été primé au Festival international du film documentaire océanien (Fifo) en 2019. Intitulé Patutiki, ce documentaire a été littéralement plébiscité par le public, preuve de l’attachement au tatouage toujours vivace chez les Polynésiens.
Aujourd’hui, le tatouage fait partie du mode de vie polynésien. À tel point qu’il est plus rare de trouver des personnes non tatouées que tatouées ! Nous aussi, on a nos modes. Selon les années, on grave son amour des tortues, des lézards ou des raies… Et l’encre n’est pas réservée qu’aux locaux ou aux popa’a : certains touristes font même le déplacement jusqu’en Polynésie pour se faire tatouer ! Et pour ceux qui se demanderaient… Ici, on n’a pas moins de chances d’être embauché parce qu’on est tatoué. C’est culturellement accepté. Et grâce aux conventions de tatouages, comme la , et à nos artistes tatoueurs qui y participent, le tatouage polynésien s’est même exporté hors de nos îles !
Pour les plus curieux, n’hésitez pas à aller jeter un œil à un autre remarquable documentaire Tatau, la culture d’un art, présenté au Fifo en 2015